Mariam Diallo Dramé milite depuis son enfance. Elle n'avait que 13 ans lorsqu'elle a créé le Parlement des enfants du Mali, pour protéger les droits des enfants. Aujourd'hui, elle est présidente de l'Association Femmes Leadership et Développement Durable (AFLeD) et elle continue à défendre les droits des femmes et des enfants à la santé, à l'éducation, et aux opportunités de leadership, dans un pays que le Forum économique mondial considère comme l'un des plus dangereux au monde.
J'ai rencontré Mariam le mois dernier, lorsque je me suis rendue à Bamako pour travailler sur une campagne de protection des défenseur-ses des droits humains maliens en danger. Le Parlement national est en train d'étudier un nouveau projet de loi sur la promotion et la protection des DDH, largement soutenu par les défenseur-ses de tout le pays.
Défendre les droits humains n'est pas une tâche facile au Mali. Le travail de Mariam a un impact positif et tangible sur des centaines de femmes à travers tout le pays, mais, elle et ses collègues sont souvent la cible de menaces et d'agressions. Leur travail sur la question de la santé reproductive et sexuelle leur a valu des qualificatifs peu élogieux et parfois des atteintes à leur réputation. Elle nous contait, non sans beaucoup de regrets, l’impact qu’a eu la campagne de dénigrement dont elle, mais aussi des femmes parlementaires, avaient été l’objet lors du processus initié pour l’adoption d’un nouveau code de la famille en 2011 qui perpétue les discriminations à l’égard des femmes.
À Bamako, j'ai aussi rencontré des défenseur-ses des droits humains qui travaillent sur les droits à la terre et les questions relatives à l'environnement, qui soutiennent aussi le projet de loi sur la protection des militants pacifiques. Kone Massa, porte-parole de la Convergence Malienne Contre les Accaparements des Terres, CMAT, est l'un des militants les plus véhéments contre l'accaparement des terres au Mali. Son organisation accompagne les communautés de paysans qui sont expulsées de leurs terres à cause de gros projets agro-industriels. Elle aide les victimes d’expropriation, d’expulsions, d’accaparement de terres, à se mobiliser, à avoir accès à la connaissance de leurs droits, les encourage à se les approprier, à les faire respecter, à les revendiquer.
Kone indique que "la masse critique" qu'ils ont atteinte - à savoir, le grand nombre de membres de la communauté désormais engagés dans la lutte, est ce qui motive leur travail malgré les risques. De nombreux membres de l’organisation ont déjà, à plusieurs reprises, été arrêtés arbitrairement, des plaintes sont déposées contre eux et certains sont en procès devant des tribunaux administratifs ou civils, accusés, entre autres, d’opposition à l’autorité légitime, atteinte aux biens publiques, outrage à magistrat et occupation illégale de la place publique.
Ils sont très souvent perçus comme une menace à l’ordre public du fait de cette capacité qu’ils ont à mobiliser et organiser les communautés autour de la question du foncier et du danger de l’accaparement des terres dans leurs régions.
À ce contexte déjà bien difficile pour les défenseur-ses, s’ajoute la question de la situation sécuritaire, qui est très fragile malgré la signature en 2015 d'un accord de paix entre des groupes ethniques rivaux, les groupes de combattants islamistes et l'actuel gouvernement. Cette instabilité affecte grandement le travail et les capacités des défenseur-ses des droits humains au Mali, car le climat de peur et l'insécurité sont généralisés, en particulier dans le nord du pays.
Consciente de cela, je m’étonne de la hardiesse dont fait preuve Fatouma Harber, enseignante et blogueuse basée à Tombouctou lorsqu’elle dénonce, au travers de son blog, les exactions commises par les groupes armés. Des menaces de mort contre elle et sa famille par ces derniers n’ont pas réussi à la dissuader de militer en faveur de la justice pour les victimes des groupes armés dans le nord du Mali.
Tous les échanges que j’ai pu avoir avec des défenseur-ses des droits humains (DDH) au cours de la semaine que j’ai passée à Bamako m’ont davantage éclairé sur l’importance d’une loi sur la protection des DDH au Mali.
À l’initiative d’un ensemble d’acteurs de la société civile malienne et avec le soutien de partenaires internationaux, une proposition de loi pour la protection des DDH a été présentée au gouvernement malien. En janvier 2017, la proposition de loi fut signée par le Conseil des Ministres Malien et transmis au Parlement pour adoption. Cette loi vise à définir un cadre juridique reconnaissant la légitimité et l’importance du travail des défenseur-ses des droits humains avec pour but de garantir qu’ils puissent travailler dans un environnement sûr, sans crainte d’attaques ni de représailles.
En appui à ce processus, Front Line Defenders en collaboration avec le Service International pour les Droits de l’Homme (SIDH) et des organisations de la société civile locale, notamment la Coalition Malienne des défenseurs des droits humains (COMADDH), le Réseau des défenseurs des droits humains (RDDH), la Coordination Nationale des Associations de Victimes (CNAV) et AFLED ont tenu les 4 et 5 octobre 2017 une série de réunions de plaidoyer à l’attention des membres de l’Assemblée Nationale malienne.
Les débats ont donné l'opportunité d'expliquer pourquoi la loi doit être une priorité et doit être adoptée sans tarder; ils ont aidé les parlementaires à mieux comprendre le contenu de la loi; ils ont expliqué les défis auxquels les DDH maliens sont confrontés et expliqué comment cette loi pourrait les aider. Pendant les débats, les DDH ont aussi fait des suggestions et des propositions sur la façon de modifier le projet de loi afin qu'elle garantisse au mieux la protection des DDH. Par exemple, les DDH ont demandé d'y ajouter des dispositions spécifiques pour la protection des femmes défenseuses des droits humains, en raison de la particularité des menaces auxquelles elles sont exposées, notamment les violences sexuelles, la stigmatisation et la discrimination.
Le 6 octobre 2017, Front Line Defenders et un groupe de défenseur-ses des droits humains maliens (Mariam Diallo Dramé, Fatouma Harber et Mody Samba Touré), ont aussi lancé la campagne “Soutenons les droits humains, soutenons les DDH”, qui vise à construire un soutien populaire en faveur de la nouvelle loi sur la protection des DDH, et qui plaide en faveur de son application. Par le biais de différentes plateformes dans les médias, la campagne sensibilisera le public au rôle crucial que jouent les DDH dans leur communauté, aux risques auxquels ils sont exposés, et pourquoi il est important de les protéger. La phase initiale de la campagne a été développée avec Studio Tamani, une station radio basée à Bamako qui diffuse des programmes en 5 langues par le biais de son réseau de 56 stations radios dans tout le pays.
Sensibiliser le public au travail important des DDH au Mali et plaider pour l'adoption d'une nouvelle législation, est un pas en avant dans la promotion des droits humains et la protection des défenseur-ses des droits humains. Après les exemples de la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso, le Mali pourrait devenir un modèle important pour d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. L'adoption de cette loi, ainsi que son application, est un signe d'espoir pour les défenseur-ses des droits humains tels que Mariam, Koné et Fatouma, qui chaque jour luttent pour protéger les droits de leurs communautés.